Par Philippe Parnet - Avril 2015
Dans un contexte de raréfaction des énergies fossiles et de crise économique, l’augmentation du prix des hydrocarbures et celle à venir de l’électricité, combinée à un pouvoir d’achat déclinant impactent de plus en plus fortement les populations aux moindres ressources.
Ainsi, la part des revenus consacrée par les ménages aux dépenses énergétiques de leur logement s’accroit. D’une situation de vulnérabilité énergétique une partie de la population bascule désormais dans la précarité énergétique.
Le phénomène s’amplifie d’autant plus sous la pression conjointe des déplacements, eux-mêmes massivement dominés par les hydrocarbures. L’étalement urbain qui rend dépendant de la voiture renforce encore cette tendance.
La vulnérabilité énergétique doit donc désormais intégrer l’ensemble de ces facteurs et le double effet combiné des dépenses énergétiques pour l’habitat mais également pour les déplacements.
Au préalable, replaçons le sujet.
En effet, de quoi parlons-nous lorsque nous évoquons la vulnérabilité ou double vulnérabilité à laquelle nous associons le terme « énergétique ».
3 niveaux de vision conditionnent les possibilités d’intervention sur ce sujet.
Le niveau local, le niveau national et le niveau mondial.
Au niveau local tout d’abord :
En réalité, et afin de ne pas se tromper dans la recherche de remède à ce niveau, avant de parler « énergétique » dans le domaine de l’habitat et du déplacement, il ne faut pas perdre de vue que pour l’usager, la vulnérabilité est avant tout socio-économique et touche globalement l’ensemble des domaines de sa vie quotidienne et locale.
Ce point est fondamental du point de vue d’un bailleur dont la mission sociale est non seulement de permettre au plus grand nombre d’accéder à un logement de qualité, mais aussi de s’assurer que les conditions d’accès et de vie à ce logement n’affecteront pas leur capacité à vivre.
Ainsi posé, le problème de vulnérabilité est donc la conséquence d’un coût de la vie trop important au regard des revenus.
Lié à un couple mode de vie-revenu qui appartient à chacun, il est aussi fondamental de noter que la vulnérabilité est individuelle et se trouve donc répartie de manière aléatoire sur le parc de logement. L’objectif de lutte contre la vulnérabilité n’est donc pas sur un traitement de masse des logements d’une résidence où peut se trouver une famille en difficulté, mais il doit être ciblé sur cette famille en particulier.
Sans prise sur le montant des revenus, le bailleur va chercher à intervenir sur le coût de la vie lié à l’habitat. L’habitat en lui même et son emplacement qui conditionne les coûts de déplacement.
Et c’est parmi ces axes de recherche pour réduire la vulnérabilité de ses locataires, que l’aspect du coût de l’impact énergétique apparait.
Dans le même temps, l’enjeu au niveau national qui est d’assurer les ressources du pays en énergie impose un objectif de traitement en masse.
Cet objectif de raisonnement sur des masses se retrouve au niveau mondial ou l’enjeu est sur l’amélioration du climat détérioré par des usages intensifs d’énergies génératrices de Co2.
Alors, bien évidement, si l’ensemble de ces enjeux est incontestable, il est par contre fondamental et urgent de mettre en cohérence les mesures qui permettront d’atteindre les objectifs de chacun de ces 3 niveaux de visions.
Car aujourd’hui, l’ensemble des mesures sur l’habitat visant la réduction des consommations est établi pour un traitement en masse des bâtiments.
Cet état de fait interpelle car se pose alors la question essentielle des moyens.
Car, en effet, comment concilier cette volonté de traitement en masse, « les objectifs 500 000(1) » du gouvernement avec l’ensemble des contraintes réglementaires qui impactent très lourdement les capacités d’intervention des organismes, rendant le coût de construction et de gestion toujours plus important alors que la lutte contre la vulnérabilité devrait conduire à rechercher la réduction des coûts loyers +charges.
Augmentation de la TVA, obligations Grenelle(2), travaux d’accessibilités PA/PH(3), poids exorbitant du traitement de l’amiante(4), coût non prévu des DAAF apparu avec la loi ALUR, bientôt charges des travaux liés aux PPRT, et l’énorme chantier de la gestion de l’héritage des grands ensembles, voilà un ensemble d’obligations qui au regard des moyens disponibles doivent conduire au réalisme vis-à-vis du possible.
Il est donc nécessaire de réfléchir ensemble, d’écouter et de comprendre les enjeux de chacun de façon à mettre en place les synergies qui permettront d’atteindre les objectifs partagés grâce à des actions concertées mises en œuvre dans un calendrier soutenable.
Quels sont les éléments d’orientation de la lutte contre la vulnérabilité
Tout d’abord, afin d’illustrer le propos introductif sur la nécessité de s’interroger aussi bien sur la vision de chacun mais aussi sur le besoin d’optimiser et d’utiliser avec cohérence des moyens limités, voilà trois observations qui doivent interpeller chacun de nous sur certaines idées reçues et la réalité constatée.
En premier lieu, penchons-nous sur les conclusions du premier rapport de l’observatoire national de la précarité énergétique (Cf. article Actualité Habitat n°987 du 30 mars 2014).
Les principales causes de la précarité sont dues à la faiblesse des revenus suivie de la surface du logement par occupant, les caractéristiques thermiques du logement interviennent peu, que ce soit en raison de leur étiquette énergétique ou de l’âge de construction. Le système de chauffage et le type d’énergie utilisée influent peu. Seul le fioul peut accentuer la précarité énergétique (28% plus cher que l’électricité).
Par ailleurs une simple étude préalable menée sur le parc locatif d’un bailleur majeur, en prenant uniquement la situation d’impayés parmi les critères d’alerte sur la vulnérabilité, montre que les ménages dans cette situation ne sont absolument pas majoritairement localisés dans des résidences E, F ou G mais sont uniformément réparties dans chacune des classes (Environ 5% de ménages sont en impayé de plus de 1000 € dans chacune des classes énergétiques).
Cette observation impose donc d’ouvrir la réflexion à d’autres pistes que la classique réponse par des travaux de changement de classe énergétique.
Parmi les actions à mener, l’article souligne la recherche d’une meilleure adéquation entre l’occupation, le revenu et le type de loyer ainsi que l’aide au comportement économe.
Ensuite, l’un des résultats d’analyse du projet européen Alpsar indique que, dans le mode d’intervention actuel sur le patrimoine (gestion de masse), la dépense à consentir pour sortir une famille de la précarité énergétique avoisine les 250 000 €, soit pratiquement le coût de construction de 2 logements qui permettraient d’accueillir 2 familles dans le besoin (Eventuellement la famille cible + une autre en vulnérabilité).
Le troisième point concerne l’idée régulièrement avancée de combiner sur la même opération des travaux énergétiques avec ceux qui sont imposés par la réglementation. Ce mode d’intervention étant supposé générer des économies.
En 2014, cette idée a été reprise par les ministres de l’écologie et du logement qui travaillent en commun sur la mise en place d’une obligation progressive de travaux sur le mode «coupler une série de travaux déjà obligatoires avec des travaux d’isolation».
Cette obligation viendra encore restreindre un peu plus la capacité d’intervention ciblée du bailleur sur son patrimoine.
Car en effet, si en période d’opulence financière, le couplage semble rationnel car il peut provoquer une économie par rapport à des interventions successives sur une même résidence, il n’en demeure pas moins que sur une même période de temps, la mise de fond à mobiliser en couplage sera beaucoup plus importante que la réalisation d’une action thématique.
Alors dans le contexte de ressources restreintes et d’obligations en tout genre, le risque du couplage est de faire tout sur une partie réduite du parc et de ne plus avoir les moyens de faire pour la plus grande partie.
Ainsi, au-delà de la légitime insatisfaction grandissante de locataires délaissés, une partie du patrimoine se trouvera en sous entretien et le cycle infernal des interventions curatives lourdes viendra neutraliser dans un premier temps les économies espérés par le couplage et dans un deuxième temps la capacité même de faire du couplage.
Avec ceci à l’esprit, quelles sont les pistes pour lutter contre la vulnérabilité ?
La lutte contre la vulnérabilité peut être orientée sur 4 axes de recherche:
- La détection
- L’action opérationnelle
- Le financement
- L’accompagnement
La détection :
Actuellement, la détection est trop souvent faite par des alertes sociales : situation d’impayés, dégradation de l’état du logement (pathologies liées à des absences de chauffage), des comportements extérieurs, des alertes de voisinage….
Malheureusement, ces indicateurs arrivent bien souvent déjà trop tard, le passage de la vulnérabilité à la précarité s’est déjà opéré et l’intervention est alors curative et dans l’urgence.
Par ailleurs, cette détection est sélective car seules ressortent les situations « visibles ». Mais combien de ménages en vulnérabilité s’attachent par dignité à payer leurs charges en se privant de produits de premières nécessités ? Impossible à savoir aujourd’hui.
Ce constat nous pousse à rechercher comment passer à l’action préventive.
L’établissement d’une cartographie du patrimoine sur les risques de double précarité semble être la base nécessaire à cette réflexion.
C’est en ce sens que le travail effectué dans le cadre du projet européen Alpstar est particulièrement intéressant.
L’action opérationnelle
Au-delà des actions classiques de recherche d’atteinte des meilleures classes énergétiques à la résidence, la recherche doit être complétées sur 3 axes :
- L’élaboration de programme de travaux compatibles et évolutifs de façon à ne pas focaliser les moyens au même moment sur une seule résidence. (Dans l’esprit du BBC compatible de la Région Rhône-Alpes élaboré avec l’ADEME)
- La recherche et développement sur l’intervention sur l’existant en partenariat avec les industriels afin de travailler sur des solutions applicables au logement individualisé et les résidences ou des solutions type « couverture » par une isolation extérieure ne peuvent pas être envisageables (Bâtiment en pierres en secteur ABF par exemple). (Dans l’esprit des démarches engagées sur le traitement acoustique et le traitement de l’amiante. Acoustique : l’histoire a montré par exemple que des complexes de matériaux légers présentaient des alternatives à la masse du béton. Amiante : le recouvrement-encoffrement-encapsulage est une alternative au retrait).
- La prise en compte de la vulnérabilité globale déplacement/emploi/habitat dans la stratégie de développement de l’offre de logements en concertation avec les collectivités dans leurs dynamiques de développement de leurs secteurs économiques locaux (Cohérence avec les PL-H et SCOT notamment) – Pour mémoire : Entre 2005 et 2010, environ 500 000 personnes en recherche d’emploi auraient renoncé à un poste qui aurait entrainé une hausse de leurs frais de logement et 2 millions d’emplois ont été refusés à cause de l’allongement des transports qu’ils induisaient (Cf. Actualités habitat n°978 du 30 octobre 2013).
Le financement
Compte tenu des obligations multiples, les capacités propres des bailleurs ne peuvent pas suffire.
Il faut donc réfléchir sur l’ouverture des dispositifs actuels(5), qui sont orientés sur les modes d’intervention « de masse », à l’intervention individualisée (comme cela est fait par l’ANAH pour le secteur des propriétaires occupants)
L’extension de la démarche en place pour l’adaptation des logements PA/PH (Personnes âgées /personnes handicapées) qui cible le logement et non la résidence pourrait servir de base de réflexion.
Avec une prise de recul sur l’usage de l’exonération de TFPB : Elle ne peut pas tout prendre en compte car dans certains secteurs, cette possibilité d’exonération sera totalement hypothéquée par les obligations liées au PPRT (plan de prévention contre les risques technologiques) qui ne permettront donc plus de la mobiliser pour d’autres types d’action.
L’accompagnement
Le parcours résidentiel dans la recherche d’une meilleure adéquation entre l’occupation, le revenu et le type de loyer.
L’aide au comportement économe ou la lutte contre la précarité énergétique :
- Campagne d’information préventive,
- Action de sensibilisation pédagogique aux éco-gestes,
- Visite à domicile,
- Installation kit « écO »,
- Guide vert personnalisé lors de l’entrée dans les lieux,
- Logement pédagogique,
Actions de développement social : jardins partagés, compostage, auto-rénovation….
Assistance à maîtrise d’usage (AMU) : accompagnement au changement, prise en compte des usages des locataires, adaptation des équipements ou du service
HDA, le 28/04/2015
(1) La volonté de construire 500 000 logements/an, d’en rénover 500 000 autres/an en créant un choc de simplification susceptible de conserver la qualité tout en baissant de 10% les coûts d’opération – Cf. communiqué de presse de Sylvia Pinel du 16 mai 2014)
(2) Grenelle : échéance 2020
(3) Accessibilité : Loi « handicap » de février 2005 avec échéance initiale en 2015 : L'ordonnance 2014-1090 du 26 septembre 2014, dites Ad’Ap (agenda d’accessibilité programmé) impose la transmission d’un agenda des travaux programmés pour validation par le préfet avant le 27 septembre 2015 sous peine de sanctions financières.
(4) Une étude USH-HTC aurait été transmise en mai 2014 au ministère par l’USH (Info HTC au Batim’club du juin 2014) et présente la facture pour le logement social : plus de 2 milliards/an jusqu’en 2020 de travaux liés à l’amiante, soit l’équivalent de la construction de 100 000 logements ou la rénovation de 400 000.
(5) Dispositifs liés à l’amélioration énergétique : Prêt bonifié, éco prêt PTZ, exonération de TFPB, FEDER, CEE, Fonds chaleur (EnR), aides des collectivités et établissements publics (ADEME, ANRU, ANAH…), 3ème ligne de charge, augmentation de loyer dans la limite du loyer plafond (Nota : à intégrer dans la stratégie de la ROL), augmentation de loyer dans le cadre du conventionnement d’utilité sociale.