Par Philippe Parnet
Après avoir bien parlé contenant, parlons contenu.
Le point de vue d’un maitre d’ouvrage propriétaire et gestionnaire.
Et oui, le bâtiment serait-il devenu une fin en soi ? Serait-il un objet uniquement produit pour lui même ?
Nos villes ne seraient-elles devenues que des musées dans lesquelles nous déambulerions pour nous pâmer devant des natures mortes nommées « bâtiment » ?
C’est pourtant ce que l’on pourrait penser à la lecture des très nombreuses réflexions en cours sur le BIM (Building Information Modeling), dont le spécial BIM de la revue de l’UNTEC de janvier 2016 fait une excellente synthèse.
Cependant, n’en déplaise à certains, voire beaucoup… le bâtiment n’est qu’un contenant qui n’a sa raison d’être que par sa fonction finale qui est d’y abriter un contenu.
Contenu qui a prévalu aux prémices de la réflexion sur ce que devrait être le contenant, la définition initiale des besoins.
Contenu qui va prévaloir majoritairement dans le cycle de vie du bâtiment, de sa genèse à sa fin.
Le contenu, de qui, de quoi s’agit il ?
D’usagers, clients d’une heure dans un magasin ou clients d’une tranche de vie, locataires ou propriétaires mais aussi collaborateurs en charge de l’exploitation et de la gestion du contenant.
D’équipements, nécessaires à l’exploitation et à la gestion, indispensables au bien être et au maintien de l’attractivité du contenant pour les usagers.
Alors si du point de vue des équipements, l’avance dans les nouvelles technologies du numérique prise par les industriels dans ce domaine devrait permettre une interopérabilité des approches avec le BIM, du coté de la prise en compte des usagers, l’entrée technico-technique de la chaine des acteurs de la construction me semble présenter un risque majeur pour mobiliser l’ensemble des parties concernées et obtenir leurs adhésions sans réserve aux objectifs du BIM.
Car pour se développer rapidement et efficacement au profit de tous les acteurs, de ceux de l’acte de construire, du gestionnaire à l’usager, le BIM nécessite l’implication et l’adhésion des commanditaires et de leurs exécutifs, qui sont loin d’être tous des techniciens ou des économistes mais qui savent tous que c’est l’usager final qui consolide leurs chiffres d’affaires en achetant leurs produits ou contribue par son bulletin à leurs réélections.
Du point de vue de la connaissance de l’usager, la modélisation du client est déjà en place depuis longtemps et le besoin d’interopérabilité des systèmes doit être anticipé et intégré dés le début de la démarche BIM.
En effet, les bases de données issues des études marketing et sociales, des bases de gestion locatives et de relation clients permettent de connaitre les structures familiales, le peuplement, les critères de satisfactions ou d’insatisfactions… et constituent autant de dimensions devant être intégrées au cœur du BIM dés le départ.
Car pour déceler les potentialités d’économies globales, il ne suffit pas de s’intéresser à le diminution des dépenses de construction et d’exploitation d’un bâtiment, il faut également s’intéresser aux coûts induits de gestion et de fonctionnement de sa structure exploitante et de ses usagers, mais aussi s’intéresser à la composition des ressources produites, comme le chiffre d‘affaires, et d’identifier les causes de sa non production en lien direct avec la vie du bâtiment, pertes par vacances techniques dues aux temps de travaux avant relocation, Ventes non réalisées et pertes par vacances commerciales par manque d’attractivité du produits, impayés consécutifs aux insatisfactions, pertes en rentabilité par démotivation due à de mauvaises conditions de travail des collaborateurs …
Car c’est l’usager qui sera majoritairement présent durant le cycle de vie de l’ouvrage.
Par la durée de vie en gestion du bâtiment estimée à 88% sur une durée de cycle de 30 ans d’après les études d’APOGEE. Que dire de cette proportion lorsque l’on sait que ce cycle dans l’habitat va bien souvent au delà de 50 ans.
Ainsi, le temps de gestion d’un bâtiment sera 7 à 10 fois plus long que le temps passé à sa construction.
Par les masses financières qui lui seront dédiés en exploitation lors de la gestion, dont la valeur est estimée à 75% du coût global. Autrement dit, le coût de la gestion d’un bâtiment va représenter à minima 3 fois les coûts de sa construction.
Les véritables enjeux sont donc là, pour un propriétaire-gestionnaire, c’est bien cette phase de gestion qui fera ou non que l’opération imaginée en amont est rentable, à minima soutenable, et lui permettra chaque année de payer ses charges et ses employés et lui permettra de dégager des marges pour continuer son développement.
C’est bien également durant cette phase de gestion qui est de très loin prépondérante que les principales économies sont à faire. Et dans ce domaine, ceux qui sont en capacité d’en faire ressortir les axes sont bien les spécialistes qui y travaillent et en maitrisent les fonctionnements.
Alors oui, Le BIM, bien plus qu’une formidable avancée technologique doit être une opportunité à saisir, en plaçant le projet au cœur de tous les acteurs.
Mais pour cela, il faut ouvrir cette notion de projet à tous, le projet est transverse, le projet n’est pas qu’une affaire de techniciens et d’informaticiens, il va bien au delà, le projet est avant tout un projet d’entreprise dans sa globalité, il sera projet de vie de résidence pour un bailleur engageant locataires et collaborateurs, projet de production sur site pour un industriel engageant son personnel et la qualité de sortie de ses produits ou projet d’exploitation commerciale pour un magasin engageant son attractivité par l’image qu’elle renvoie.
Ainsi, pour une entreprise qui souhaite se lancer dans le BIM, elle se doit pour espérer en recueillir les fruits d’être cohérente sur la durée de la démarche qui va de la définition du besoin initial à la fin de vie de l’ouvrage qui en sera l’expression physique, en y intégrant dés le début, les objectifs de ses commanditaires mais surtout pour y répondre, les besoins non seulement des gestionnaires du bâtiment, mais aussi ceux des usagers par l’intermédiaire notamment des gestionnaires de la relation clients, externes et collaborateurs internes de l’entreprise.
De là, pour un maitre d’ouvrage propriétaire-gestionnaire, dans sa position d’interface entre ses commanditaires et ses clients-usagers et en tant que chef de file des acteurs spécialisés intervenants dans un projet immobilier, la clé du management du BIM, sera sans aucun doute dans sa faculté à désigner un pilote aux vues larges en capacité d’intéresser, de créer et d’obtenir l’adhésion interne au projet dans une structure ou la culture technique est très souvent minoritaire, mais aussi de manager dans un tel environnement un panel de BIM managers actuellement très identifiés coté technico-informatique.
Alors pour conclure ce post, je reprendrai les propos de Pierre Mit dans son mot de l’expert du spécial BIM de l’UNTEC, Le BIM « à la française » doit répondre à la configuration des acteurs en place.
C’est une certitude et je ne peux qu’être d’accord, alors donc, il ne faut pas en oublier et il faut bien intégrer à la démarche tous les acteurs de l’entreprise, car au delà de l’économie de la construction, l’enjeux majeur qui nous importe à tous est celui de l’économie des entreprises pour lesquelles sont conçues les constructions.
HDA, le 13/04/2016